Notre admiration pour le travail de ceux qui oeuvrent pour un tourisme responsable fait que nous ne pouvions pas ne pas vous parler de Norman Carr. Au sortir de la seconde guerre mondiale, c'est l'histoire d'un homme qui réussit à convertir ses contemporains de la chasse vers les safaris photos et qui au fil du temps, invente un tourisme durable pour protéger la nature, tout en aidant les populations. Très connu en pays anglophones -étrangement peu en France-, voici l'histoire de Norman Carr, un visionnaire en avance sur son temps, dont l'esprit et le travail se perpétuent au sein de la compagnie qu'il a créée : Norman Carr Safaris.
Norman Carr, une passion pour l'Afrique et la savane
Nous sommes en juillet 1932 en Rhodésie du Nord (actuelle Zambie) lorsque Norman Carr, alors garde-chasse pour le gouvernement, abat son 50ème éléphant le jour de son vingtième anniversaire.
Protéger les villageois, leurs élevages et leurs territoires, contrôler les mouvements d'éléphants dans la vallée de la South Luangwa, voici le travail dangereux mais nécessaire dont Carr est chargé, avec quatre autres officiers pour tout le pays. Excellent chasseur, zambien passionné d’Afrique, il est né en 1912 dans une ancienne concession britannique au cœur de l’actuel Mozambique et, comme de nombreux enfants de parents britanniques travaillant dans les colonies, est envoyé en Angleterre pour ses études alors qu’il n’a que 6 ans.
Il ne reverra son Afrique bien aimée et ses parents qu’à 17 ans. Entre-temps, il n'a qu'une obsession : revenir en Afrique et revoir la savane.
A son retour au Nyassaland (actuel Malawi), après un bref passage dans l’entreprise de son père, il saisit la première occasion pour quitter la ville et retourner dans la brousse de la Rhodésie du Nord. C’est ainsi qu’il se retrouve nommé Officier au département du gibier et de la mouche Tsé-Tsé (sic) du gouverment de Rhodésie du Nord en 1935.
On ne connait vraiment son pays qu'en marchant."
N.Carr aime marcher. Il dit qu'il faut arpenter un pays à pied pour le connaître. Intrépide, il part à pied seul durant des mois, avec seulement quelques sachets de thé et de la Quinine dans son sac à dos. La somme de connaissance qu’il acquiert durant ses longues randonnées lui permettra plus tard d’établir les parcs nationaux pour le gouvernement et de former personnellement gardiens et rangers des parcs.
Vient alors la seconde guerre mondiale qui le mène en Afrique du Nord, où il officie au régiment colonial britannique du King's African Rifles. Il en revient avec une idée qui ne le quittera plus : peut être serait-il possible pour les villageois de gagner un peu d’argent en protégeant les animaux, plutôt qu’en les tuant ?
Photographier au lieu de chasser, protéger les réserves, aider les villages
En 1950, il demande l’autorisation au chef suprême Nsefu d'utiliser une zone (de l'actuelle South Luangwa) dans laquelle il amènera quelques touristes observer les animaux, en échange d’une somme d’argent reversée aux populations locales. Peu convaincu ("Mais qui va vouloir venir observer des animaux ?"), le Chef accepte néanmoins.
Six simples huttes faites de boue sont alors construites comme abris et Norman amène ses premiers visiteurs. Photographier, plutôt que chasser : les clients sont d'accord. Et dès la première année, c'est un petit succès. Le Chef Nsefu et son conseil reçoivent la somme alors substantielle de 100 livres !
L’éco-tourisme et les safaris viennent de naitre et ce principe de participation locale est aujourd’hui une condition siné qua none dans tous les programmes de protection de la nature.
Invention des safaris photo, des safaris à pied et création des premiers parcs nationaux
Deux ans plus tard, en 1952, Norman fonde le premier camp du parc : Nsefu Camp. Il développe son concept de safari pedestre, totalement inédit sur le continent … et le nombre de visiteurs augmente (anglais, américains, sud-africains pour la plupart). Carr installera d'autres camps et formera des gens des alentours pour le travail de guides rangers.
A la même période, le premier parc national de Zambie est officiellement créé au parc de Kafue. Norman Carr en deviendra le gardien pour quelques années et travaillera également à la création de parcs nationaux au Malawi et au Zimbabwe.
Lors d'un accident, il sauve deux lionceaux sauvages dont la mère vient d’être abattue et, s’inspirant de l’exemple de Joy et George Adamson (*), les élève au biberon jusqu’à leur majorité, avant de leur apprendre à retourner à la vie sauvage (c'est le sujet du livre qu'il publia "Return to the wild"). Grand connaisseur de la nature, il observe et étudie aussi les oiseaux et leurs migrations.
En 1964, lorsque la Rhodésie du Nord devient la République indépendante de Zambie, Norman Carr, qui est insallé dans la South Luangwa, n’a pas à envisager de partir, ni de difficulté pour rester. Son succès dans la mise en place des parcs nationaux est dû en partie aux bonnes relations qu’il a développées avec le gouvernement rhodésien et plus tard, le gouvernement zambien.
Ami de Kenneth Kaunda, qu’il a emmené en safaris avant que celui-ci ne devienne Président en 1964, il reçoit également régulièrement le prince Andrew, le duc d'Édimbourg et le prince Bernhard des Pays-Bas, férus des safaris à pied que Norman Carr accompagne. Sortir en safari avec Norman Carr est une aventure passionnante. Cette terre sauvage, Carr la connait comme sa poche et ne l’a jamais sous-estimée.
Lutte contre le braconnage et pour l'éducation
En 1970, alarmé par la dévastation causée par les braconniers, Norman Carr crée le Rhino Trust, qui sera plus tard confié au WWF. Malheureusement les guerres de braconnages qui ravagent la Zambie jusque dans les années 1980 auront raison de la population de rhinocéros.
Carr s'investit dans l'éducation des enfants des villages alentours et refuse la mendicité. Il encourage les dons pour l’école locale qu’il parraine. (C'est à ce fonds scolaire que les dons en sa mémoire sont dirigés.) Construire des écoles en dur pour faire en sorte que les cours ne cessent pas à la moindre averse, faire des dons pour les uniformes, les livres, les équipements sportifs... Carr emmène également les enfants en voyages scolaires dans le parc, afin de leur apprendre à connaitre les animaux.
Affectueusement surnommé « Kakuli » (le vieux buffle) par les Zambiens à ses vieux jours, c’est à Johannesburg, le 1er avril 1997, à l’âge de 84 ans qu'il s’éteint. Il repose dans le parc de la South Luangwa qu’il aimait tant, au lieu dit « Wafa », à l’ombre de grands ébéniers, sous une pierre tombale toute simple.
Toute sa vie, Norman Carr aura contribué à faire découvrir la faune et la nature, en transmettant son savoir et en formant de nombreux guides rangers.
Son engagement pour une redistribution des gains aux communautés locales, sa vision des safaris respectueux de la nature, tout cet état d’esprit perdure dans les camps de Norman Carr Safaris qui font désormais partie du groupe Time + Tide.
En voyageant dans les camps de Norman Carr Safaris, vous rencontrerez de nombreuses personnes qui ont travaillé en sa compagnie et qui ont même parfois été formées par Norman Carr. Elles seront ravies de vous raconter leurs souvenirs avec ce grand Monsieur, légende du safari.
(*) Joy et George Adamson sont des défenseurs de la nature installés, à l'époque, au Kenya. Le livre "Born Free" relate leur expérience de réintroduction dans la nature de la lionne Elsa qu'ils avaient élevée. En 1966, l'adaptation cinématographique sous le titre "Vivre libre" connut un succès mondial.
Pour aller plus loin : Norman Carr est l'auteur de plusieurs livres, dont certains sont traduits en Français et il est possible de trouver certaines images de lui sur la chaine Youtube de Time & Tide Africa.
Livres traduits en français : Return to the Wild (1962).- Autobiographie. Traduction française : Retour à la vie sauvage, Paris, Stock, 1963
The White Impala (1969).- Autobiographie. Traduction française : L’impala blanc. Histoire d’un chasseur en Afrique, Paris, Stock, 1971
L'impala blanc : chasse et faune de la Luangwa, Rhodésie, 1929-1962, Paris, Montbel, coll. « Les aventuriers voyageurs », 9 novembre 2007
Non traduits : Some Common Trees and Shrubs of Luangwa Valley (1978), A guide to the wildlife of the Luangwa Valley (1987), Valley of the Elephants (1992), Kakuli (1996)
Cet article est la propriété de Loin de la Foule, agence spécialiste des safaris en Zambie . Photos Time + Tide